Indemnisation d’une victime d’escroquerie, reconnaissance de la responsabilité bancaire
octobre 7, 2020
 

Première victoire en matière de devoir de vigilance contre la banque pour faux investissements frauduleux.
(4 février 2020, RG : 19/00008)

De nombreux sites internet de trading en ligne vous promettent de vous faire gagner de l’argent facilement en vous faisant croire que vos placements sont sécurisés mais surtout dont le gain est garanti. Si quelques plateformes sont légales, beaucoup sont fictives et pratiquent des activités frauduleuses.

Le jugement rendu le 04 février 2020 par le tribunal Judiciaire d’Albi, en matière de contentieux général civil, en est une illustration. Les faits sont les suivants :
Octobre 2014, un client de la « CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE NORD MIDI PYRENEES », a été démarché par « des conseillers » prétendant agir au nom d’une société dénommée « TRADE OF BROKER » inscrite sur la liste noire de l’AMF (Autorité du Marché Financier), lui ayant proposé des placements avec des bénéfices élevés et sécurisés, pratiquant un discours convaincant et bien rôdé.

 

Pour ce faire, le client a dû procéder à un emprunt bancaire. Une fois les placements réalisés et l’obtention fictive des gains, satisfaisante, il a exprimé sa volonté de retirer les gains générés. A ce moment ses interlocuteurs sont devenus injoignables. S’étant rendu compte qu’il avait été victime d’une escroquerie, il a porté plainte le 25 mai 2016 contre le site « TRADE OF BROKER ». Parallèlement, il a mis en demeure sa banque aux fins d’indemnisation des sommes préjudices matérielles.
N’ayant reçu tout de suite favorable, Monsieur F a assigné sa propre banque devant le tribunal Judiciaire d’Albi en décembre 2018, après l’avoir préalablement mis en demeure. La problématique juridique de cette affaire consistait à savoir si la banque pouvait être condamnée pour manquement à son devoir de vigilance des sommes perdues suite à une escroquerie alors même qu’elle doit respecter le principe de non-ingérence lors du fonctionnement du compte

I. La notion du devoir de vigilance : 

Pèse sur le banquier un devoir de vigilance en dépit du principe de non-immixtion et même en dehors des obligations légales qui lui sont imposées en matière de lutte contre le blanchiment deS capitaux et le financement du terrorisme, dès lors que le fonctionnement du compte bancaire de ses clients présente des anomalies.

Pour engager une action contre les banques, les clients se fondent sur la responsabilité contractuelle conformément à l’article 1231-1 du code civil. Le devoir de vigilance impose à l’établissement du crédit de déceler les anomalies tant matérielles qu’intellectuelles qui affectent le fonctionnement du compte bancaire. Ce devoir n’est selon la doctrine que l’adaptation à l’activité bancaire du devoir général de prudence. Le banquier doit agir en bon professionnel. La Cour de cassation a eu à se prononcer à plusieurs reprises sur l’existence des anomalies apparentes lors des opérations de paiement, condamnant le banquier pour un manquement à son devoir de vigilance (Cass.com 11 janvier 1983, n°81-14.155, Cass.com 10 décembre 2003, n°00-18.653, Cass.com 7 juillet 2009, n°08-18.251, Cass.com 20 janvier 2021, n°19- 13.545 et n°19-16.135, Cass.com 15 juin 2022, n°21-10.080). S’il s’avère que le fonctionnement du compte bancaire des clients a été entaché d’anomalies apparentes, la responsabilité du banquier est susceptible d’être engagée dès lors que le banquier n’a pas eu la réaction appropriée.
Il convient de préciser que le profil du client joue un rôle important dans la mesure où le juge se montre très réfractaire à condamner le banquier dans le cas où son client a des connaissances et de l’expérience en matière de placements financiers et de l’activités boursières. Puis en second lieu s’est développé depuis une vingtaine d’années un devoir de vigilance spéciale dont les particuliers ne peuvent s’en prévaloir. Ce devoir ne concerne que l’Etat et les établissements financiers.


En effet, Le devoir de vigilance incombe au banquier de déceler les anomalies matérielles ou intellectuelles qui sont susceptibles d’entacher sa relation avec son client. L’anomalie est intellectuelle dans le cas où par exemple un virement bancaire est d’un montant anormal et inhabituel de manière évidente par rapport à ceux habituels.
Il convient de préciser qu’en pratique pour révéler l’existence d’une anomalie intellectuelle et. reconnaître la responsabilité du banquier le juge se base sur un faisceau d’indices. Généralement les tribunaux retiennent les éléments suivants : le montant élevé et inhabituel des virements / la périodicité / le libellé des virements/ la destination des virements à l’étranger / le profil de la victime (profane ou averti).

Le tribunal a répondu par l’affirmative.

Ainsi cette jurisprudence sonne le glas de l’irresponsabilité des établissement bancaires en casde fraudes aux faux investissements.

 I. L’application du devoir de vigilance faite par le jugement : 

Pour décider si l’établissement bancaire a été responsable, en l’espèce, le juge s’est appuyé sur les relevés bancaires seul élément qui a été porté à la connaissance du banquier concernant les paiements litigieux. 

Il a comparé les virements litigieux avec les paiements effectués habituellement par le client en prenant en considération le montant des paiements, leurs destinations, leurs périodicités, et le libellé des opérations (savoir si l’objet du virement est de nature à faire naitre des soupçons auprès du banquier). Il a également pris en considération le profil de la victime, à savoir le caractère profane de Monsieur F. En l’espèce, le juge a décidé que les montants apparaissent disproportionnés par rapport aux

paiements habituels de Monsieur F, qu’ils sont tous dirigés vers l’international ce qui apparait également inhabituel, Monsieur F pour réaliser ses investissements il n’a pas utilisé ses fonds propres. Quand bien même la plateforme frauduleuse « Trade of Broker » ne figurait pas sur la liste noire de l’AMF au moment des paiements mais ultérieurement il n’en demeure pas moins que la banque avait un devoir de vigilance. Le banquier n’ayant pas démontré avoir procéder à une quelconque mise en garde envers son client, le tribunal a condamné celui-ci pour un manquement au devoir de vigilance. Il convient de souligner qu’en l’espèce Monsieur F avait un profil profane en matière de trading en ligne et de placements financiers. 

Le tribunal a retenu que le préjudice n’était pas le préjudice total subi par le demandeur. Il a analysé celui-ci en une perte de chance, le banquier n’ayant pas mis en garde son client, il a fait perdre à son client une chance à ne pas effectuer les virements litigieux à pure perte. En dépit du montant d’indemnisation peu élevé dans cette affaire, il s’agit de la première fois qu’un établissement bancaire a été reconnu responsable pour manquement à son devoir de vigilance dans les litiges de fraudes aux faux investissementsIl est très recommandé dans ce genre d’affaire, d’avoir recours à un avocat spécialisé en la matière.